DIFFERENT N°7
“Ces populations de travailleurs de plus en plus pressées n’ont pas même la sécurité d’être toujours employées; l’industrie qui les a convoquées ne les fait venir que lorsqu’elle a besoin d’elles et, sitôt qu’elle peut s’en passer, elle les abandonne sans le moindre souci.”
Stress au travail, emploi instable, relation de dépendance à l’employeur, chosification du salarié
réduit au profit qu’il peut procurer, risque de basculement dans la pauvreté: ce tableau n’est pas
brillant. La précarité du travail n’est pas un thème neuf, nous le rappelle cette citation issue du
livre d’E.Buret “De la misère des classes laborieuses en France et en Angleterre”, publié en…1840.
Certes, la situation de la classe ouvrière naissante et celle des précaires de ce début du XXI
éme siècle n’est pas identique. Mais ce devoir vivre quasi “au jour de la journée”, qu’on avait
voulu archiver au rayon de la préhistoire ouvrière ou des phénomènes marginaux, est en train
de retrouver un caractère de masse. Arracher, pour les non propriétaires, une couverture contre
l’insécurité, est un processus engagé depuis la fin du XIXéme. Le développement des droits du
travail et de la protection sociale constitue la trame de cette trajectoire d’un progrès qu’on croyait
ascendant.
Que reste t-il de nos amours ? Si nous avons perdu la croyance en une réduction continue,
voire pour les plus candides, mécanique des inégalités sociales, nous sommes aussi, tant pis
pour les plus imaginatifs, débarrassés du fantasme d’une société sans conflit, sans intérêts
antagoniques où chacun ne rêverait qu’au bonheur de son prochain.
Le retour de l’amalgame “classes laborieuses, classes dangereuses” et de son corollaire, une
chaîne sécuritaire permettant le contrôle de ceux qui font peur parce qu’ils ont le visage de la
colère et n’ont plus rien à perdre que leur détresse quotidienne, rappelle là aussi que nous
sommes loin de vivre dans une société de l’égalité, de la fraternité et de la liberté. Les patrons,
certes, ont perdu leur bedaine mais sous leur profil new look se dissimule toujours le même
gros appétit. Et nous, depuis le temps, plus dupes, nous savons que rien n’est jamais
définitivement acquis mais toujours gagné dans les luttes. Ce savoir et cette conviction construits
collectivement, nous nous devons de les partager largement. La précarité n’est pas une fatalité
mais un choix politique. La précarité des travailleurs est le reflet des rapports de forces. La
précarité, même si elle est grandissante, n’a pas encore gangrené l’ensemble du salariat.
Les conquêtes sociales ne se balaient pas aussi facilement parce que justement existent toujours
des poches de résistance, et ponctuellement d’immenses mouvements sociaux. Les luttes de
l’an dernier contre le CPE, les manifestations du 18 novembre pour défendre les droits sociaux
et s’opposer à une nouvelle loi liberticide, comme notre militantisme quotidien pour transformer
les frustrations et souffrances individuelles vécues au travail en dynamique positive d’action, en
sont l’illustration.
Le dossier de ce journal, de même que les récentes publications de notre union syndicale
Solidaires autour d’un plein emploi de qualité se veulent eux aussi des outils contribuant à cette
prise de conscience, ouverture sur la lutte.